« Sugar puffs ou Frosties ? Thompson Twins ou Now 2 ? »
C’est ainsi que Bandersnatch, le nouvel épisode de la série Black Mirror, habitue doucement les téléspectateurs à l’expérience du film interactif. Après ces choix triviaux, la narration s’engouffre dans un monde plus menaçant, où vous êtes forcé à prendre de terribles décisions pour le personnage principal, Stefan (joué par Fionn Whitehead).
Bandersnatch est très fidèle aux thèmes de Black Mirror, qui est décrit sur IMDb comme « une série anthologique explorant un monde tordu et high-tech où les innovations les plus grandes et les instincts les plus sombres de l’humanité entrent en conflit. » Cependant, ce qui fait que Bandersnatch est différent est le fait qu’il confie le pouvoir effrayant de la technologie aux téléspectateurs plutôt qu’aux personnages en permettent aux téléspectateurs d’influencer le déroulement de l’histoire sur le modèle d’une « aventure dont vous êtes le héros ».
Il est difficile de faire la critique d’un film où, justement, le début, le milieu et la fin dépendent des décisions individuelles de chaque téléspectateur. Cependant, Je peux proposer une analyse de comment l’utilisation ambitieuse des technologies d’interaction faite par Netflix affecte l’expérience de visionnage du film.
L’histoire suit Stefan, un jeune programmeur, tandis qu’il travaille sur l’adaptation d’un livre interactif en jeu vidéo. Cela se passe en 1984, contrairement à tous les autres épisodes de Black Mirror qui se déroulent dans le futur. Le réalisateur joue beaucoup avec le thème des années 80 et crée un monde plein de nostalgie avec des références au jeu vidéo culte Pac-Man et le groupe de musique Thompson Twins.
Situer l’intrigue en 1984 était un choix délibéré de la part de les créateurs de l’émission et l’on suspecte évidemment que ce soit une référence à 1984 de George Orwell. On retrouve les thèmes de 1984 d’Orwell dans Bandersnatch dans le fait que Stefan a peur d’avoir perdu le contrôle de sa vie et d’être soumis à une entité supérieure similaire à « Big Brother ». Bandersnatch s’inspire aussi du monde-réel, puisque 1984 est l’année où l’entreprise, Imagine Software, qui était basée à Liverpool, a fait faillite en raison d’un projet trop ambitieux, un jeu jamais sorti intitulé « Bandersnatch ». Dans le film, l’entreprise de jeux vidéos Tuckersoft, reflète nombre de pratiques abusives de l’industrie du jeu vidéo des années 80, telles que « les délais impossibles à tenir, le manque de clarté sur les salaires, et les environnements de travail peu conventionnels ».
Bien que la narration ait d’innombrables combinaisons possibles selon la personne qui regarde, il est impossible d’éviter son côté sombre, car le fil rouge est ancré dans le violence et l’horreur. Par conséquent, quelles que soient les décisions que vous faites, Stefan ne s’en sortira pas indemne. C’est dû au fait que Stefan lutte contre beaucoup de démons intérieurs et les sessions de thérapie vous avez l’option de suivre, ne semblent pas pouvoir l’aider.
Au moment de faire l’un des choix, les téléspectateurs ont l’option de pousser Stefan à prendre les pilules prescrites par sa psychiatre ou à les jeter. Le film encourage les « mauvais » choix car c’est souvent le seul moyen de faire progresser le scénario. Par exemple, si on choisit de jetter les pilules, on est amené directement à la fin, où le jeu obtient un score passable de « deux étoiles sur cinq ».
Bandersnatch est plein de les rebondissements et de détours ou de cheminements alternatifs qui mèneront les téléspectateurs à l’une des cinq fins principales ou à l’une des fins cachées. Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez regarder passivement et cela requiert une attention ininterrompue. Bien que chaque histoire ou cheminement ait beaucoup à offrir, c’est vraiment l’aspect « aventure dont vous êtes le héros » qui donne tout son sens au film. Les idées mises en avant dans les différents parcours narratifs sont ensuite utilisées dans les décisions gênantes présentées aux téléspectateurs dans les réactions de Stefan.
Par exemple, dans l’un des chemins, Colin (Will Poulter), un programmeur à Tuckersoft, propose du LSD à Stefan ; cependant, si les téléspectateurs choisissent ne pas prendre la drogue, Colin mettra la drogue dans le thé de Stefan, qui aura alors des hallucinations quel que soit le chemin que vous choisissez. C’est pendant ce scène que Colin dit à Stefan : « quand tu prends une décision, tu penses que tu en es à l’origine, mais c’est faux. C’est un esprit extérieur, connecté à notre monde, qui décide de ce que nous faisons, et nous avons juste à le suivre. ».
Plus tard dans la suite de décisions, Stefan cède finalement à la panique à l’idée d’être contrôlé, et l’idée initialement présentée par Colin revient. À ce stade, Stefan essaie de résister aux décisions des téléspectateurs mais en fin de compte, il se rend compte qu’il n’a aucun contrôle.
Ce tissu de choix complexe n’aurait pas fonctionné si les acteurs et les créateurs du film n’avaient pas su maintenir un déroulement fluide indépendamment des choix effectués. Les acteurs ont dû rester cohérents avec leurs personnages dans tous les cheminements qu’il a fallu filmer. Selon Poulter, « c’est déjà difficile de gérer le développement d’un personnage et sa continuité émotionnelle quand on filme des scènes en désordre. Mais quand il s’agit de le faire pour de multiple chronologies et scénarios parallèles, c’est encore pire ». En plus, les créateurs ont eu besoin de porter une attention particulière à tous les petits détails pour s’assurer que les décors et les costumes correspondent toujours à chaque réalité scénaristique. Sans ça, le film ne pourrait pas bénéficier de transitions fluides entre chaque choix et conséquences.
Bandersnatch n’est pas le genre de film que vous pouvez regarder en vous relaxant. Il a besoin de beaucoup de concentration et d’attention. Si vous êtes prêt à investir le temps nécessaire pour explorer tous les résultats différents, ce sera sûrement une bonne expérience. Cependant, si vous vous contentez d’arriver à une fin pour ensuite arrêter, le message du film pourrait tomber complètement à plat. Netflix a pris un risque en sortant ce contenu extrêmement meta dont l’intrigue, la durée et la conclusion peuvent changer ; cependant, les artistes à l’origine de ce film ont fait un très beau travail malgré la tâche complexe que cela représentait.
Alors, si vous cherchez une expérience où vous pouvez vous concentrer sur « le voyage et pas la destination » je recommande Bandersnatch. Mais il ne faut pas oublier que si vous voulez vraiment profiter de tout ce que le programme a à offrir, il vous faudra jouer le jeu et en explorer toutes les possibilités.
Nicole Bates peut-être contactée à [email protected]
Florent Charrier est l’éditeur de la version française et peut être contacté à [email protected]